02/08/2021 09:00Entretien avec une Directrice d’EHPAD en Alsace

Entretien avec Madame T Directrice d'un EHPAD

Madame, vous dirigez un EHPAD en Alsace, région parmi les premières durement touchées par la Covid 19 en mars 2020. Comment avez-vous vécu cette période l’année passée ?

Avec du recul, je sais que nous n’aurions pas pu traverser cette période si nous n’avions pas développé un fort esprit d’entraide et de solidarité au sein de notre établissement.
Nous nous sommes retrouvés sur un champ de bataille du jour au lendemain. Nous étions confrontés à quelque chose que nous ne comprenions et ne maîtrisions pas car nos résidents et notre personnel tombaient malades du jour au lendemain.

J’ai pris mes fonctions le 1er janvier 2020 et j’ai été mise devant le fait accompli.
Venant du monde soignants, j’ai acquis les réflexes en matière de gestion épidémique, notamment avec la vague de grippe en 2019 qui avait durement touchée les personnes âgées dans les EHPADs. Cette dernière, nous avait amenés à une fermeture d'établissement pendant près de quatre semaines.

A mon niveau, et très sincèrement, je ne me suis pas posée de questions. La présence de tous était nécessaire, y compris la mienne pour aller au front. Il fallait, en plus, gérer notre accueil de jour alors que nos salariés commençaient à tomber malades. Au départ, les Pouvoirs publics étaient dépassés et ne donnaient pas de consignes. J’ai pris la décision de le fermer et bien m’en a pris, car deux jours plus tard, le virus était présent.

Quelles décisions avez-vous dû prendre en urgence ?

Pour protéger les résidents et notre personnel nous avons dû commencer à trouver des équipements de protections individuelles ce qui a nécessité une gestion des stocks importante notamment en matière de masque de type FFP1 et de FFP2. Ces derniers étaient de rigueur par le passé. Nous avons également eu une pénurie de gants. Nous avons dû nous montrer inventifs jusqu’à ce que les commandes arrivent et de ce fait, nous avons alors acheté des gants de ménage que l’on a distribué aux agents hôteliers. Nous les faisions désinfecter avec un système de séchage monté sur des cintres. C'était assez impressionnant.

Je me souviens également, avoir lancé un appel aux dons sur les réseaux sociaux et des entreprises, des bénévoles, des citoyens sachant coudre ont répondu présents.
Nous avons eu un afflux de dons phénoménal. Et je souhaite les remercier encore une fois pour leur générosité.

Avec le médecin coordinateur, l'infirmière coordinatrice et l’adjointe de direction, nous avons mis en place des procédures en quelques heures que nous avons réajustées au fur et à mesure, pour tenir tout le mois de mars.

Je n’ai que très peu communiqué avec l’extérieur au cours de ces jours où nous sommes restés en vase clos. C’était une nécessité, je devais me concentrer sur la prise en charge des résidents et de mes collaborateurs.
Par la suite, l’ARS a commencé à nous donner des recommandations, recommandations que nous avions déjà mises en place depuis longtemps. Puis est survenue la pénurie de ressources sanitaires. A ce moment-là, nous nous sommes sentis très seuls tant sur le plan médicamenteux que sur le plan de l’accompagnement des résidents au quotidien.

Quelles ont été les relations avec l’extérieur ?

Il a fallu gérer les inquiétudes des familles ce qui a généré une très grosse pression. J'entendais leurs inquiétudes et de ce fait, nous avions créé une chaîne de nouvelles par téléphone et visio-conférences. Néanmoins, les standards téléphoniques ont sauté compte tenu de la sur sollicitation et les lignes internet étaient saturées.

Les craintes sanitaires attachées au niveau de la prévention et de l'accompagnement des décès ont été très difficiles à vivre pour les familles et pour les soignants dont la mission est d’accompagner le résident en fin de vie en bonne et due forme. Malgré tous nos efforts, nous nous sommes sentis impuissants face à une catastrophe qui nous dépassait.

La très grande majorité des visiteurs ont été extrêmement compréhensifs et ont bien appliqué les consignes. Mais il y a eu aussi une petite frange de la population qui a fait fi de tous les règlements en matière de prévention, qui s’emportait par des violences verbales, parfois physiques, inacceptables.
J’ai dû en informer l’ARS. Je peux comprendre les inquiétudes, mais il n’est pas acceptable de traiter les soignants ainsi que l’ensemble du personnel de l’établissement de cette manière. Le problème est que cela perdure encore aujourd’hui et même si, l’équipe d’encadrement est plus habituée à ce type de problématique, cette pratique doit cesser.

En mai 2020, au moment du premier déconfinement, les Pouvoirs publics et les familles ne se sont pas rendus compte à quel point des résidents qui n'étaient plus habitués à se côtoyer entre eux ni avec leurs proches, avaient besoin de temps. Nous avons décidé d’un déconfinement en interne très progressif parce qu'il ne fallait pas créer de violents chocs psychologiques chez les personnes âgées.

Comment jugez-vous la situation actuelle et avez-vous des attentes particulières pour l’avenir ?

Aujourd’hui, nous sommes équipés, en matériel adéquat et en vaccins. La situation est redevenue plus supportable, ce qui ne m’empêche pas de la vivre encore difficilement car la crise sanitaire est toujours présente, elle continue de perdurer. Nous travaillons dans sa continuité et nous restons sur nos gardes. C'est un changement très fort pour nos concitoyens. Il faut que le bon sens l’emporte. Je suis de formation de base soignante et en période normale, je fais attention à bien me laver les mains, à garder mes distances et à éviter les foules.
Mais les personnes âgées sont moins sensibilisées à ces automatismes. Leur demander de garder les distances est souvent impossible parce qu'elles ont besoin de se regrouper, ce qui les rassure. En revanche, l’entourage et les visiteurs doivent comprendre qu’il faut maintenir les gestes barrières. Ce qui n’est pas toujours gagné.
A l’avenir, je souhaiterais un peu plus de compréhension et un peu moins de jugements hâtifs. J’ai entendu des propos difficiles à accepter, certains comparent les EHPAD à des prisons.

En tant que dirigeants, nous sommes confrontés à deux impératifs : protéger les résidents dont nous portons la responsabilité et accueillir les visiteurs pour maintenir le lien social. Par moment, à l'impossible nul n'est tenu. Nous faisions avec les moyens à notre disposition, mais pour certains, cela ne suffit pas. Je souhaiterais davantage de compréhension de la part de tous.
A mon avis il conviendrait de créer une instance officielle de médiation au niveau gouvernemental. Au niveau départemental, cela a été bien compris, car nous avons pu collaborer avec une personne référente qui m'a énormément aidée, ne serait-ce que pour échanger.
La difficulté par moments, a été de poser mes idées avec d’autres. En interne nous y sommes arrivés. Mais à l'égard de la population extérieure, il aurait été bon de créer un partenariat réel de communication entre les résidents, les familles et l'État.