19/12/2019 09:00Portabilité des droits en santé/prévoyance et liquidation judiciaire : un arrêt intéressant à Colmar

Jurisprudence du 25 septembre 2019

En cas de rupture du contrat de travail, non liée à une faute lourde, et donnant lieu à une prise en charge de l’assurance chômage, les ex-salariés peuvent bénéficier à titre gratuit du maintien des garanties du régime de prévoyance et/ou de frais de soins de santé pendant une période comprise entre 1 et 12 mois maximum. Le Code de la Sécurité sociale précise même, que « les garanties maintenues au bénéfice de l'ancien salarié sont celles en vigueur dans l'entreprise ».
Depuis la loi du 14 juin 2013, cette portabilité des droits est financée par l’employeur et les salariés en activité.

Le cas de la liquidation judiciaire de l’entreprise.

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Mais que se passe-t-il lorsque l’employeur est placé en liquidation judiciaire ?
Dans ce contexte, les juges du fond ont avancé en ordre dispersé. Certains juges ont donné raison aux assureurs qui soutenaient que, compte tenu du système de mutualisation, la disparition du souscripteur et donc du paiement des primes ne pouvait donner lieu au maintien des garanties à titre gratuit.
D’autres, en revanche, ont fait droit aux demandes des liquidateurs judiciaires qui, dans l’intérêt des salariés licenciés, invoquaient le droit au maintien des garanties même en l’absence de mode de financement prévu par les textes.

Un avis de la Cour de cassation sujet à interprétation

Le 6 novembre 2017, la Cour de cassation a publié un avis précisant que « les dispositions de l’article L. 911-8 du code de la sécurité sociale sont applicables aux anciens salariés licenciés d’un employeur placé en liquidation judiciaire qui remplissent les conditions fixées par ce texte. Toutefois, le maintien des droits implique que le contrat ou l’adhésion liant l’employeur à l’organisme assureur ne soit pas résilié ».

De cet avis, certains assureurs ont tiré comme conséquences qu’ils devaient leur garantie tant que l’entreprise n’était pas radiée du Registre du Commerce et des Sociétés (RCS) en partant du principe qu’ils pouvaient résilier le contrat pour défaut de paiement ou avec respect d’un préavis de deux mois avant l’échéance annuelle.

Considérant par ailleurs que le principe même de la portabilité des droits est une obligation de l’employeur prévue à l’article L.911-8 du Code de la Sécurité sociale, rien n’interdirait à l’assureur de ne pas couvrir contractuellement cette obligation notamment en cas de procédure de liquidation judiciaire.

La Cour d’appel de Colmar protège les salariés

Toutefois, dans un arrêt du 25 septembre 2019, la Cour d’appel de Colmar réfute ces interprétations en indiquant que les dispositions de l'article L 911-8 du code de la sécurité sociale, sont d'ordre public en application de l'article L 914-1 du même code et que l’assureur ne peut contractuellement y déroger.
Dans les conditions générales de son contrat, l’assureur avait en effet introduit une exclusion de garantie tenant à la cessation totale d'activité de l'entreprise qui stipulait que « (…) les garanties maintenues étant celles applicables aux salariés en activité dans l'entreprise assurée, le maintien des garanties cesse de plein droit en cas de cessation totale d'activité de l'entreprise contractante par suite de sa liquidation judiciaire. (..) ». Cette clause pour la Cour d’appel doit être réputée non écrite.

Dans sa défense, l’assureur soutenait aussi que « le dispositif légal (article L911-8 du code de la sécurité sociale), lui-même prévoit que les garanties maintenues au bénéfice de l'ancien salarié sont celles en vigueur dans l'entreprise ». Cette précision, selon la cour d’appel impose seulement de vérifier que le contrat de prévoyance n'est pas résilié au moment de la demande de portabilité.

Une décision protectrice des salariés

Pour plusieurs assureurs, cette décision est critiquable dans la mesure où la Cour d’appel laisse entendre que les dispositions du contrat d’assurance permettant d’écarter le maintien de la portabilité en cas de procédure de liquidation judiciaire sont illégales. De plus, contrairement à l’avis de la Cour de Cassation qui explique que la résiliation du contrat entraîne la disparition du droit à garantie, l’arrêt de Colmar laisserait entendre que le maintien de la portabilité est subordonné au fait que la demande soit faite avant la résiliation du contrat d’assurance.

En partant du principe que l’article L.911-8 du Code de la Sécurité sociale ne traite que des relations entre l’employeur et ses salariés, en cas de rupture du contrat de travail et non de celles entre l’assureur et l’entreprise souscriptrice, cet arrêt apparaît protecteur pour les salariés et par ricochet pour les entreprises, puisqu’il impose à l’assureur de payer.

Cour d'appel de Colmar, 25 septembre 2019, première chambre civile - section A