Jean-Luc Klein, dentiste libéral, revient sur la mise en place de la réforme du 100 % santé, appelé aussi reste à charge zéro (ou RAC zéro), pour les soins et les prothèses dentaires.
Jean-Luc Klein est également administrateur de la mutuelle SORUAL, membre de la commission paritaire de la Sécurité sociale et membre fondateur du réseau Handident Alsace à Haguenau, association dédiée à la santé bucco-dentaire des personnes en situation de handicap.
SORUAL. – Quel est votre sentiment sur la mise en place du 100 % ?
Jean-Luc Klein – Déjà, il convient de préciser que le 100 % santé s’installe doucement. Certains tarifs ont commencé à être modifiés cette année, mais l’essentiel va débuter en 2020. L’idée, pour la partie dentaire, est de partir du principe que l’assurance maladie et les mutuelles rembourseront les actes au même niveau que ce que donne la CMU-C, soit par exemple 250 euros pour une couronne simple.
Beaucoup d’assurés ne restent couverts, par leur mutuelle, qu’à hauteur du ticket modérateur, soit 107,50 euros, ce qui est bien en dessous du tarif de la CMU-C. En ce sens, la réforme du reste à charge zéro (RAC) peut être considérée comme une avancée permettant de renforcer les droits d’une partie de la population qui travaille sans pour autant disposer de moyens importants.
Bien entendu, tous les dentistes n’approuvent pas ces tarifs plafonnés avec l’obligation d’établir systématiquement un devis « RAC Zéro » notamment dans les grandes villes où le coût de la vie est cher.
Il faut bien comprendre que tous les praticiens seront soumis aux mêmes tarifs 100 % santé quel que soit leur lieu d’exercice et ce, qu’ils payent un loyer de 700 euros pour leur cabinet, ou de 2 000 euros dans la capitale régionale, voire le double à Paris pour une même surface.
Heureusement, les syndicats ont réussi à conserver une marge de liberté avec les tarifs maîtrisés et libres. Malgré cet encadrement de plus en plus lourd, il va falloir attendre quelques années pour étudier l’adaptation des professionnels à ce nouvel environnement. A titre personnel, je pense que l’on aurait pu modifier la réglementation de façon plus simple.
Est-ce que vous vous attendez à une augmentation des visites de patients avec l’arrivée du RAC zéro ?
Lors de la dernière commission paritaire de la Sécurité sociale, il a été souligné une chute importante de l’activité au niveau des prothèses dentaires sur les 6 premiers mois de l’année. La direction de la Sécurité sociale semble interpréter cette baisse comme une stratégie de la part de certains patients de repousser leurs soins au 1er janvier 2020 pour pouvoir bénéficier du reste à charge zéro. Il y a certainement une part de vérité. Pour ma part je n’ai presque pas observé cette chute de 30% dans mon cabinet. Mais je pense que d’autres facteurs explicatifs doivent être recherchés du côté de la modification des codes intervenue en début d’année qui n’a pas encore été entièrement prise en compte par l’outil statistique.
La réforme du 100 % santé a été justifiée par les pouvoirs publics principalement pour lutter contre le renoncement aux soins des patients modestes. Qu’en pensez-vous ?
Oui, cela a été beaucoup évoqué dans les débats. Mais il convient à mon avis de relativiser car les patients qui renoncent véritablement aux soins pour des questions de manque de moyens sont moins nombreux qu’on ne le pense. Après 35 ans d’expérience, je peux vous assurer que beaucoup de personnes renoncent aux soins par peur des interventions ou de la douleur. Ce type de renoncement aux soins existe et il est loin d’être négligeable, même si la direction de la Sécurité sociale a du mal à l’entendre. Je ne suis pas sûr que le RAC Zéro ait un impact sur ces patients. Encore une fois, il va falloir attendre quelques années pour établir le bilan.
Il y a un point important que je voudrais souligner. Penser que le RAC zéro va, comme le répètent les pouvoirs publics, mettre fin aux renoncements aux soins, n’est pas correct pour les praticiens car il laisse sous-entendre que les dentistes refusent de soigner les personnes modestes. En effet, c’est oublier que la majeure partie des dentistes ont l’habitude de trouver des solutions afin de limiter les frais pour leurs patients selon les niveaux de prise en charge de leur mutuelle. Pour ce qui me concerne, exerçant dans une ville de taille moyenne en région, c’est-à-dire ni dans un beau quartier de grande métropole, ni dans une zone défavorisée, cela ne va rien changer.
Certains partent du principe que le panier de soins du 100 % santé n’est pas de bonne qualité. Quel est votre avis sur la question ?
Il ne sera ni mieux ni moins bon que ce qui existe déjà. Il faut être honnête, aujourd’hui plus de la moitié des couronnes sont fabriquées hors de France et sincèrement, il ne faut pas s’imaginer que celles-ci sont toujours de mauvaise qualité.
Dans certains pays, les couronnes sont vendues à 12 €, je vous laisse imaginer le prix auquel les achètent les laboratoires. Bien entendu, le métal n’est peut-être pas de bonne qualité, mais il n’est pas forcément plus nocif. Tout cela est très lié au coût de la vie sur place. À Moscou, une couronne haut de gamme peut être facturée 150 €, alors qu’en France, elle serait facturée plus de 700 euros.
D’une manière générale, les prix des prothèses ont tendance à baisser. Dans les années 80 à mes débuts, je facturais une couronne à un prix de 700 euros en moyenne. Aujourd’hui, je travaille à moitié prix.
Un des buts du 100 % santé, en revalorisant le prix des soins, est de favoriser la prévention. Y croyez-vous ?
Il est vrai que nous avons obtenu une augmentation du prix des soins assez nette, mais dans le même temps, il y a une baisse de la fréquentation des cabinets dentaires due en grande partie à l’amélioration de l’hygiène. Par exemple, le nombre de traitement de caries baisse depuis une vingtaine d’années.
Côté prévention il faut, pour que le système fonctionne, que toutes les organisations soient bien mobilisées. A Strasbourg, par exemple, une personne s’occupe à l’Assurance maladie de relancer les patients pour s’assurer que le bilan bucco-dentaire a bien été réalisé par les assurés sociaux.
Reste qu’en la matière, cela peut paraître modeste en comparaison de ce qui se pratique en Allemagne. Outre Rhin, si vous ne vous rendez pas à votre visite annuelle chez le dentiste vous êtes exclu par la suite des remboursements. Pour autant, certaines études ont montré que si on obligeait tous les français à se rendre chez le dentiste une fois par an, il faudrait alors doubler le nombre de praticiens. Mais cela est un autre débat.